La vie est un jeu de hasard.
La chance est contre nous
Mieux vaut mourir maintenant pour ce pays
et laisser l'exemple du sacrifice

Nguyễn Thái Học

 


 

Le Viêt-Nam est non seulement une terre des légendes et des lettrés mais c'est aussi une terre que les hommes ont conquise, arpent par arpent, sur une nature marâtre depuis plus de quatre mille ans. Le berceau de la nation vietnamienne, le delta du Tonkin, délimité au Nord par les collines douces des Cents-Mille-Monts de la Chine et étranglé au Sud par une chaîne quasi impénétrable, la Cordillère annamitique, réduit à 15.000 km2 mais riche de toutes les boues arrachées par le Fleuve Rouge continue à être menacé par ce dernier avec le débit changeant de 500 m3 aux basses eaux jusqu'à 35000 m3 durant les plus fortes crues .

Pour maîtriser les coups de sabre du Fleuve Rouge, les Vietnamiens recourront à la méthode d'endiguement, ce qui les oblige à engager non seulement une surveillance accrue des digues mais aussi une lutte perpétuelle. Face aux intempéries incessantes de la nature, aux caprices du fleuve Rouge et aux ambitions territoriales de la Chine, les Vietnamiens doivent leur salut au prix de leur labeur et leur courage mais aussi de leur sacrifice dans leur longue marche vers le Sud. Ce sacrifice n'est pas étranger à la plupart des Vietnamiens, en particulier à des gens de caractère. Il devient aussi un culte qu'on aime à entretenir et à vanter incessamment au Viêt-Nam pour exalter tout un peuple devant une menace étrangère.

Le sacrifice est le moyen le plus sûr pour entretenir la perfection de la patrie mais il est aussi synonyme du loyalisme et de dignité. Un grand homme est celui qui ose prendre ses responsabilités dans les moments difficiles de sa vie mais c'est aussi celui qui sait se sacrifier pour une bonne cause, en particulier pour sa patrie. Le sacrifice est indissociable du mot "honneur" au Viêt-Nam. A cause de cette dignité morale, beaucoup d' hommes d'armes ont préféré se suicider au lieu de se rendre (Trưng Trắc, Trưng Nhị, Trần Bình Trọng,Võ Tánh etc..) . C'est pourquoi on est habitué à dire dans une maxime:

 

Hùm chết để da, người chết để tiếng.

Le tigre mort laisse sa peau et l'homme décédé sa réputation.

L'histoire du Viêt-Nam est aussi l'histoire des sacrifices. Le devoir d'un Vietnamien est de servir sa patrie de tout son coeur. Plus les périls sont grands, plus son loyalisme paraît meilleur. Le héros se sacrifie pour sa patrie. Quoi qu'il advienne, son honneur ne se salit jamais. C'est le cas du lettré Phan Thanh Giản, signataire du traité franco-vietnamien de 1868. Après avoir échoué dans sa tentative de tenir tête aux français dans la défense des trois provinces de l'Ouest du delta du Mékong ( Vĩnh Long, An Giang et Hà Tiên ), il préféra la reddition et décida de s'empoisonner en 1867 car il pensa que c'était le seul moyen pour sauver le peuple et pour montrer sa fidélité à l'empereur Tự Ðức. De même, Nguyễn Tri Phương(1873), adversaire de Francis Garnier et Hoàng Diệu (1882), adversaire de Henri Rivière préfèrent se suicider après avoir échoué dans la défense de la ville Hà-Nội.

Le sacrifice devint durant l'occupation française le flambeau de l'espoir allumé par des gens inconnus tels que Nguyễn Trung Trực , Phạm Hồng Thái. Le premier accepta de mourir à la place de sa mère capturée après avoir réussi à sauter le navire français "Espérance" lors de son passage sur le fleuve "Nhựt Tảo" à Long An tandis que le second, poursuivi par la police chinoise dans sa fuite, préféra se jeter dans le fleuve après avoir échoué dans sa tentative d'assassinat du gouverneur français Martial Merlin lors de son passage à Canton en 1924. Admirateur de son courage et de son sacrifice pour sa patrie, le gouverneur de Canton enterra plus tard sa dépouille dans un cimetière réservé uniquement pour les 72 héros chinois et connue sous le nom "Hoàng Hoa Cương" en viêtnamien.

Si le sacrifice n'est pas un vain mot pour les hommes, il porte aussi une signification particulière pour les femmes vietnamiennes. La princesse Huyền Trân de la dynastie des Trần fut proposée en 1306 pour épouse du roi champa Chế Mẫn ( Jaya Simhavarman ) en échange de deux territoires du Champa Châu Ô et Châu Ri'. Elle dut sacrifier sa vie, son amour pour la raison d'etat. De même, trois siècles plus tard, une princesse de la dynastie des seigneurs Nguyễn, de nom Ngọc Vạn à laquelle on a attribué souvent le mot " Cochinchine" ou ( Cô chín Chine ) ne tarda pas à suivre la trace de Huyền Trân pour devenir la concubine du roi cambodgien Prea Chey Chetta II en 1618 en échange des facilités accordées aux Vietnamiens de s'installer dans la région Ðồng Nai Mô Xoài qui n'est autre que la région de Saigon-Cholon d'aujourd'hui. Sa petite soeur, la princesse Ngọc Khoa fut donnée en mariage quelques années plus tard au dernier roi du Champa, Po Rômê en 1630. Cette alliance la condamna à être la cible privilégiée des Chams dans leur haine contre les Vietnamiens. Sa présence sur le sol cham servira de prétexte au seigneur Nguyễn Phúc Tần pour monter une expédition et annexer le dernier territoire du Champa en 1651. On ne peut pas reprocher aux Chams de détester la princesse Ngọc Khoa à cette époque car à cause d'elle ils ont perdu leur patrie. Mais Ngọc Khoa illustre par contre pour nous, les Vietnamiens, le sacrifice sublime qu'elle a consenti pour son pays et pour son peuple.

Mais le sacrifice le plus illustre reste celui des 13 héros nationalistes vietnamiens dont Nguyễn Thái Học fait partie. Ils furent tous exécutés à la guillotine le 17 Juin 1930 après avoir échoué dans leur soulèvement contre les Français à Yên Bái. Impassible devant la mort, chacun d'eux tenta de crier à haute voix "Vive le Viêt-Nam". Même l'un d'eux, Phó Ðức Chính demanda la permission de regarder en face le couperet de la guillotine au moment de son exécution. Ce sacrifice ne s'avérait pas inutile car il montre au peuple vietnamien le chemin à suivre pour obtenir l'indépendance et le prix à payer pour la liberté. Ce chemin est plein d'obstacles comme on l'a constaté durant les six dernières décennies mais rien ne pourrait empêcher le peuple vietnamien d'accéder à l'indépendance et à sa liberté car il y a toujours dans ce peuple des gens qui sont prêts à mourir pour ce pays, des gens qui pensent que le sacrifice illustre bien le sens sublime de solidarité de l'individu avec une grande cause.

         Hy Sinh

 


 


 


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